Boubacar Traoré

Aucune autre voix que celle de « Kar Kar » ne mêle avec une authenticité aussi émouvante les limons du fleuve Niger à ceux du Mississipi.

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Boubacar Traoré porte en lui toutes les beautés du blues africain. Parmi les trésors de la musique mandingue, ce diamant possède l’éclat noir d’une exceptionnelle pureté. Aucune autre voix que celle de « Kar Kar » – celui qui sait dribbler, surnom donné par ses amis, amateurs comme lui de football – ne mêle avec une authenticité aussi émouvante les limons du fleuve Niger à ceux du Mississipi. Son jeu de guitare autodidacte, unique, inimitable, doit beaucoup à la kora dont il s’est inspiré. Mais on y trouve des couleurs et un phrasé qui rappellent ceux des grands bluesmen noirs américains du Sud profond : Blind Willie McTell, Robert Johnson, Muddy Waters…

A 20 ans, dans les années 60 marquées par l’euphorie des Indépendances, Boubacar Traoré était le Chuck Berry, l’Elvis Presley malien. Le premier, bien avant son cadet Ali Farka Touré, à jouer une musique d’inspiration mandingue avec une guitare électrique. A cette époque, les maliens se réveillaient au son de la voix mélancolique et de la guitare saturée de Boubacar. Des tubes comme « Mali Twist » (« Enfants du Mali indépendant prenons-nous en charge / Que tous les jeunes reviennent au  pays / Ensemble édifions la patrie »), et  « Kayeba » ont fait danser une génération qui découvrait la liberté. Passé la fête et l’illusion lyrique, le 19 novembre 1968 un vent aigre s’abat sur le Mali; le régime socialiste de Modibo Keita est balayé par un coup d’Etat militaire. Kar Kar et ses chansons disparaissent des ondes. Revenu sans un sou dans sa ville natale, Kayes en pays Kassonké au nord-ouest de Bamako près de la frontière avec le Sénégal, Boubacar devient travailleur agricole, ouvre une boutique avec son frère aîné – celui qui lui a fait découvrir et offert sa première guitare – travaille pour nourrir sa famille.

Il est redécouvert en 1987 par des journalistes de la télévision nationale de passage à Kayes. « Kar, il faut venir à Bamako. Depuis que la télévision existe, on ne t’a jamais vu. Il faut que tout le monde sache que tu n’es pas mort, que tu vis »… C’est comme une deuxième naissance de l’artiste : « Les gens étaient étonnés de me voir. Pour la plupart, ils ne m’avaient entendu qu’à la radio », déclare-t-il alors. Mais le destin vient briser la renaissance de Kar Kar à la musique. Pierrette, la belle métisse, sa femme, sa muse, son amour meurt en mettant au monde leur dernier enfant. Désespéré, anéanti, Kar Kar redevient une ombre. C’est à ce moment qu’il décide de chercher du travail à Paris où il rejoint les nombreux travailleurs émigrés maliens dont il partage la dure vie. « J’ai fait deux ans de travail dans le bâtiment ». Il ne livrera rien d’autre sur cette expérience, mais dit tout autour d’une chanson : « Tu peux être un roi chez toi, mais dès que tu es un émigré tu es n’importe qui ». De Barbès et du foyer de Montreuil, où il se produit un peu, il garde pour mémoire cette casquette plate qui couronne désormais sa haute silhouette.

C’est à ce moment qu’un producteur anglais le retrouve et lui fait enregistrer son premier album « Mariama » en 1990. Déchirante, dépouillée, mélancolique, la musique de Kar Kar n’est plus celle du jeune homme des années 60. Elle s’est épurée et est devenue l’expression d’un homme mûr qui y exprime ses douleurs et ses joies, toujours avec cette voix au timbre si particulier, nimbée de nostalgie et de poésie. Après ce disque, tout s’emballe. Boubacar Traoré enregistre 6 albums « Sécheresse » (1992),  « Les enfants de Pierrette » (1995), « Sa Golo » (1996), « Maciré » (1999), « Je chanterai pour toi » (2002), musique du film éponyme de Jacques Sarasin et « Kongo Magni » (2005). Kar Kar rattrape le temps perdu et conquiert les scènes d’Europe puis des Etats-Unis et du Canada…

Lorsque Lusafrica rachète en 2010 le label Marabi, c’est naturellement que José da Silva propose à Boubacar de rejoindre le catalogue de Cesaria Evora et de Bonga. Publié en 2011, « Mali Denhou » est le premier album du Malien depuis 2005. Réalisé en juin 2010 au Studio Moffou à Bamako, son casting musical est celui avec lequel Kar Kar se produit dans le monde depuis plusieurs années. C’est avec son vieux complice Madieye Niang à la calebasse et Vincent Bucher à l’harmonica que les premières prises se sont déroulées, dans les conditions du live.

L’album suivant, “Mbalimaou” (2015) est enregistré au studio Bogolan de Bamako.  Comme à chaque nouvel enregistrement, il a choisi d’intégrer de nouvelles couleurs à ses compositions, sans renier ce qui fait son style. Accompagné par des percussions discrètes – le jeune Babah Koné précis et régulier à la calebasse, Yacouba Sissoko au karignan, shaker et petites percussions traditionnelles, Vincent Bucher à l’harmonica et par Fabrice Thompson  batteur et percussionniste de la Guyane qui enrobe d’épices et de rythmes inédits des titres comme “Hona”, “Mbalimaou”, “Kolo Tigi”, “Saya Temokoto” et “Africa”. Boubacar laisse glisser sa guitare et pose sa voix inimitable en toute simplicité sur ses nouvelles chansons composées entre ses travaux des champs et ses tournées internationales. Ballaké Sissoko, avec lequel il a déjà collaboré, a contribué à la production artistique de l’album et s’est fondu dans la musique de son aîné avec aisance et facilité. Sa générosité, son ouverture d’esprit, son écoute ont contribué à installer une ambiance décontractée et sereine lors de cette session. Son jeu de kora subtil et élégant se marie avec celui, fluide et minimaliste du guitariste.

C’est aux Etats-Unis, précisément à Lafayette en Louisiane, que Boubacar Traoré a souhaité enregistrer son troisième album pour le label Lusafrica. L’idée du guitariste était d’explorer de nouvelles pistes, de changer les couleurs de ses chansons (des anciennes comme “Dounia Tabolo” ou “Kanou”, ou des nouvelles, “Ben de Kadi” ou “Mousso”) tout en gardant leur cachet original. C’est donc avec des musiciens du Sud des Etats-Unis croisés lors de ses tournées, Cedric Watson au violon et au washboard et Corey Harris à la guitare, qu’il entreprend l’enregistrement de “Dounia Tabolo” fin 2016. Et lorsqu’il leur a fait part de son désir d’ajouter un violoncelle et une voix féminine sur l’album, c’est Cedric Watson qui lui a suggéré Leyla McCalla. Cet enregistrement est un nouveau jalon dans le parcours d’un artiste rare et secret. Entre blues et folk, musiques cajun et zydeco, ses nouveaux compagnons de route apportent une touche de folie et de swing pour Cedric Watson, la profondeur du blues pour Corey Harris et une élégance discrète pour Leyla McCalla. Plus que jamais, Boubacar Traoré s’affirme comme le lien vivant et vif qui relie encore et toujours Mali et Mississippi.

Au Mali Boubacar Traoré est respecté et reconnu, surtout par les jeunes qui redécouvrent l’un des pères fondateurs de la musique moderne mandingue, dont il est un des grands ambassadeurs. Quand il rentre de ses tournées internationales, Kar Kar rejoint la concession qu’il a achetée sur une colline de Bamako où il élève des moutons et cultive un potager dont il est très fier. « Au Mali tout le monde est agriculteur, c’est le plus sûr moyen pour vivre ».

Albums

M’Badehou (FNX Omar & Cee ElAssaad Remix) – 2018

Dounia Tabolo – 2017

Mbalimaou – 2015

Mali Denhou- 2011

Kongo Magni – 2005

Je Chanterai pour Toi – 2002

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