Sia Tolno

La femme qui s’empare de l’afro-beat !

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Sia Tolno voulait depuis longtemps « s’emparer de l’afro-beat, une musique d’expression des colères, qui est à la hauteur de ce que je veux dire ». La chanteuse est anglophone, car elle a grandi à Freetown, capitale de la Sierra Leone, où son père enseignait le français. Elle y apprend le pidgin, l’argot créole de Lagos qu’utilisait Fela. Enfant traitée durement, elle se raccroche à la vie en écrivant textes et poésies. Veut-elle apprendre l’informatique ou le théâtre qu’elle est immédiatement rattrapée par la guerre. Elle a vingt ans, quand les troupes du Libérien Charles Taylor mettent la région à feu et à sang. Elle s’enfuit vers la Guinée, exsangue. Elle y connaît à peine sa famille, ne parle pas français.

« Je ne vois rien de positif dans la guerre, rien. La vérité n’est pas dans la guerre, on ouvre les portes de lieux obscurs, c’est comme une maladie, l’esprit devient tout petit. Comment faire si l’on ne sait pas si l’on sera encore vivant à la fin de la journée. La guerre a brisé mes rêves, elle m’a retardée », explique celle qui vit depuis peu en France.

A l’époque, Sia Tolno veut chanter. Elle s’installe à Conakry. Elle chante dans les bars, les cabarets – cigarettes, drinks et fins de mois difficiles, ce qu’elle décrit dans Malaya, chanson extraite de son précédent album, My Life, très soul. « En 1994, j’ai commencé à chanter aux Copains d’abord, fondé par un Libanais, Moustapha, qui m’a beaucoup aidée. A cette époque, on tenait les cabarets pour des lieux de mauvaise vie, les femmes ne portaient pas le pantalon ». Chez les Kissi, la tradition griotique, des castes de chanteurs des Mandingues n’a pas cours. La famille de Sia Tolno ne peut « même pas imaginer » qu’elle chante. Comme elle veut devenir star, elle s’empare « des grandes chansons » du répertoire occidental : Piaf, Whitney Houston, Nina Simone, Mariah Carey, Gloria Estefan. Sia Tolno a du coffre, une sorte de « black elegance » dans le phrasé.

En 2008, Sia Tolno représente son pays à la première édition d’AfricaStar, la Star Ac’ panafricaine, organisée au Gabon. Dans le jury, le grand musicien et compositeur Pierre Akendengue et son nouveau producteur discographique, José da Silva, celui de Cesaria Evora. Akendengue insiste : cette fille a une voix extraordinaire. Quand, en 2009, Sia Tolno sort son premier album international, Eh Sanga, chez Lusafrica, la Guinée est à nouveau dans la tourmente : nouveau chef d’Etat, le capitaine Dadis Camara promet des élections démocratiques, mais fait tirer sur la foule rassemblée dans le stade de Conakry. Des femmes sont violées. En 2010, Alpha Condé est élu à son tour président. Mais, constate Sia Tolno, l’Afrique est éviscérée, et si peu respectée, y compris par les Africains.

Musicalement, Sia Tolno cherche sa voie. Pour les deux albums précédents, Eh Sanga et My Life (Prix RFI 2011), elle avait travaillé avec des Guinéens, le guitariste Kanté Manfila (un ancien des Ambassadeurs de Salif Keita, décédé en 2011) d’abord, puis Mamadou Camara, guitariste vétéran de l’orchestre du Kaloum Star. L’arrangeur François Bréant avait perçu la franche inclinaison de Sia pour l’afro-beat dans My Life. Elle y plonge complètement aujourd’hui dans African Woman, grâce à l’apport complexe de Tony Allen, batteur et directeur artistique de Fela de 1968 à 1979, avant que n’apparaissent entre les deux compères de graves désaccords politiques. Tony Allen a cette fois taillé à Sia un costume à juste mesure : démesurément groove. Ce tapis polyrythmique de percussions yoruba, de funk, de high-life, porte Sia Tolno vers une énergie combustible.

Sia Tolno défend la cause des femmes. « Elles ont une place dans l’Afrique d’aujourd’hui », dit-elle prenant pour exemple Ellen Johnson Sirleaf, prix Nobel de la Paix, qui gouverne le Libéria depuis 2006. « Chez nous, la famille, le mari, les enfants, une croyance, c’est important. Il faut respecter cela pour mieux dénoncer le fléau de l’excision. Alors je dis sans agressivité : « il ne faut rien couper ». Ou je m’adresse aux femmes pour qu’elles ne tolèrent plus les maris humiliants, mais en respectant leurs valeurs ».

Albums

African Woman – 2014

Mouka Mouka- 2014 (EP)

My Life – 2011

Odju Watcha – 2011 (EP)

Eh Sangah – 2009

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